Le mari de Katiana la bat pour lui rappeler qu’il est son maître. Cette brutalité a aussi un effet psychologique qui fait de cette femme une double victime. Voici l’histoire d’une femme battue et trahie.
Aux Cayes, dans le département du Sud, certains hommes ne parlent que le langage de la violence dans leur rapport avec leur conjointe.
Selon le dernier rapport d’Enquête sur la mortalité, morbidité et utilisation des services (EMMUS V), « 27% des femmes vivant en ménage sont victimes de violence. 25% de femmes célibataires sont victimes de la violence des hommes ». Derrière ces chiffres, il y a des visages, des corps de femmes et de filles qui témoignent de la violence dont celles-ci sont victimes.
Les paupières enflées, le visage marqué de traces de coups, Katiana fait partie de ces femmes blessées dans leur chair et pour qui l’amour a un goût de souffrance.
À « Nan Savann », cité où elle vit avec trois enfants dans un taudis à quelques encablures de Quatre Chemins, elle passe ses jours à attendre un homme inquiet, amer, miné par le chômage. La force d’endurer « Depuis que mon mari a perdu son emploi, il n’est plus le même homme. Cela fait six ans que je n’ai pas connu la tendresse de ses mains. Il ne me caresse plus. Il me prend pour une bête, raconte Katiana, la voix cassée. Assise à côté de ses ustensiles de cuisine bien rangés dans un grand panier au coin d’une galerie qui lui sert de cuisine, elle tâte son visage d’une main comme pour se rappeler de la violence de la main brute de son mari. Assez souvent, pour avoir des rapports intimes avec Katiana, il la violente.
« La violence domestique est de nos jours considérée comme une grave violation des droits humains qui doit être sanctionnée », souligne le rapport EMMUS-V pour reprendre l’Assemblée générale de Nations unies, 1991. Mais par manque de sensibilisation à la question, les violateurs des droits ne sont pas inquiétés, ce qui cause de graves souffrances chez les victimes comme Katiana. « J’ai enduré tout ça à cause des enfants. Chaque jour, je pense à ça ! Ces coups restent là, dans ma tête », dit-elle, les bras croisés, se balançant de droite à gauche sur sa petite chaise basse. La résolution de Katiana Quelques amies dans la ville des Cayes à qui elle a raconté ses déboires l’ont conseillée de porter plainte, avis que ne partagent pas ses voisines de « Nan Savan » qui connaissent le même sort. Sa mère également l’a déconseillée de prendre le chemin de la justice. N’est-ce pas un signe de résignation quand on considère les études du rapport EMMUS-V révélant qu’en Haïti, « moins de deux femmes sur dix (17%) pense qu’il est justifié qu’un homme batte sa femme. Un quart des jeunes femmes de 15 à 19 ans (24%) partagent cette opinion contre 14% parmi celles de 45-49 ans ». La souffrance a des limites. Katiana s’est révoltée. Elle a fini par porter plainte au commissariat. Cependant, elle n’a pas les moyens de se payer un psychologue pour l’assister.
Dans la métropole du Sud, les gens qui peuvent s’offrir les services de ce professionnel rare viennent de Port-au-Prince. Les femmes comme Katiana ont seulement accès à l’hôpital public. Abordé sur le cas des femmes et filles victimes de violence, le directeur de l’Hôpital Immaculée Conception des Cayes (HIC), le docteur Joseph Yves Domerçant, informe que la plupart des femmes et filles victimes de violence sont référées à un obstétricien gynécologue, d’autres à un chirurgien ou à un médecin généraliste, compte tenu du type de violence subie. « L’Hôpital Immaculée Conception des Cayes n’a pas de programme de prise en charge psychologique des personnes violées », avoue le médecin. De plus, a-t-il ajouté, « la non-disponibilité du personnel de soins en week-end empêche les victimes d’obtenir un certificat médical». La violence faite aux femmes et aux filles est un problème de santé publique. Natacha Clergé, cadre du ministère à la Condition féminine et aux Droits des femmes, croit dur comme fer qu’il faut une politique nationale pour combattre la violence faite aux femmes et aux filles impliquant les ministères de la Santé publique, la Justice et de l’Éducation nationale.